Donc, je contunue
Le personnage qui, ce matin-l'a de mars, entra dans notre classe aux co'o'te's
de Monsieur Besanc_on, le principal, n'avait que la peau sur les os. Homme ou
femme ? Impossible a' savoir, tant la se'cheresse l'emportait sur tout autre
caract'ere.
-Bonjour, dit le principal. Madame Jargonos se trouve aujourd'hui dans nos murs
pour effectuer la ve'rification pe'dagogique re'glementaire.
- Ne perdons pas de temps !
D'un premier geste, la visiteuse renvoya Monsieur Besanc_on (lui d'ordinaire
si se'v'ere, je ne l'avais jamais vu ainsi : tout miel et courbettes). D'un second,
elle fit signe 'a notre ch'ere Laurencin.
- Reprenez. O'u vous en e'tiez. Et surtout : faites comme si je n'e'tais pas
l'a!
Pauvre mademoiselle! Comment parler normalement devant un tel squelette ? Laurencin
se tordit les mains, inspira fort et, vaillante, se lanca :
- Un agneau se de'salte'rait
Dans le courant d'une onde pure;
Un loup survient 'a jeun, qui cherchait aventure.
Un agneau... L'agneau est associe', vous le savez, 'a la douceur, 'a l'innocence.
Ne dit-on pas doux comme un agneau, innocent comme l'agneau qui vient de na'i'tre
? D'emble'e, on ima-gine un paysage calme, tranquille... Et l'imparfait confirme
cette stabilite'. Vous vous souvenez ? Je vous l'ai explique' en grammaire :
l'imparfait est le temps de la dure'e qui s'e'tire, l'imparfait, c'est du temps
qui prend son temps... Vous et moi, nous aurions e'crit : Un agneau buvait. La
Fontaine a pre'fe're' Un agneau se de'salte'rait... Cinq syllabes, toujours l'effet
de longueur, on a tout son temps, la nature est paisible... Voil'a un bel exemple
de la <magie des mots>. Oui. Les mots sont de vrais magiciens. Ils ont le pouvoir
de faire surgir 'a nos yeux des choses que nous ne voyons pas. Nous sommes en
classe, et par cette magie merveilleuse, nous nous retrouvons 'a la campagne,
contemplant un petit agneau blanc qui...
Jargonos s'e'nervait. Ses ongles vernisse's de violet griffaient la table de
plus en plus fort.
-Je vous en prie, mademoiselle, nous n'avons que faire de vos enthousiasmes !
Laurencin jeta un bref regard par la fen'e'tre, comme pour appeler 'a l'aide,
et reprit :
- La Fontaine joue comme personne avec les verbes. Un loup <survient> : c'est
un pre'sent. On aurait plut'o't attendu le passe' simple : un loup < survint
>. Qu'apporte' ce pre'sent ? Un sentiment accru de menace. C'est maintenant,
c'est tout de suite. Le calme de la premi'ere phrase est rompu net. Le danger
s'est installe'. Il survient. On a peur.
-Je vois, je vois... De l'impre'cis, de l''a-peu-pr'es... De la paraphrase alors
qu'on vous demande de sensibiliser les e'l'eves 'a la construction narrative
: qu'est-ce qui assure la continuite' textuelle? 'A quel type de progression
the'matique a-t-on ici affaire ? Quelles sont les composantes de la situation
d'e'nonciation ? A-t-on affaire 'a du re'cit ou 'a du discours ? Voil'a ce qu'il
est fondamental d'enseigner !
Le squelette Jargonos se leva.
-...Pas la peine d'en entendre plus. Mademoiselle, vous ne savez pas enseigner.
Vous ne respectez aucune des consignes du minist'ere. Aucune rigueur, aucune
scientificite', aucune distinction entre le narratif, le descriptif et l'argumentatif.
Inutile de dire que, pour nous, cette Jargonos parlait chinois. Telle semblait
d'ailleurs l'opinion de Laurencin.
- Mais, madame, ces notions ne sont-elles pas trop complique'es ? Mes e'l'eves
n'ont pas douze ans et ils sont en sixi'eme !
- Et alors ? Les petits Franc_ais n'ont pas droit 'a de la science exacte ?
La sonnerie interrompit leur dispute.
La femme-squelette s'e'tait assise au bureau et remplissait un papier qu'elle
tendit 'a notre ch'ere mademoiselle en larmes.
-Ma ch'ere, vous avez besoin au plus vite d'une bonne remise 'a jour. Vous tombez
bien : un stage commence apr'es-demain. Vous trouverez, sur ce formulaire, l'adresse
de l'institut qui va s'occuper de vous. Allez, ne pleurnichez pas, une petite
semaine de soins pe'dagogiques et vous saurez comment proce'der dore'navant.
Elle grimac_a un <au revoir>.
Nous ne lui avons pas re'pondu.
Accompagne'e de Besanc_on, qui l'attendait dans le couloir, toujours aussi miel
et courbettes, Madame Jargonos s'en est alle'e torturer ailleurs.
Normalement, vu que les vacances venaient de commencer, nous aurions d'u' crier,
hurler, danser. Surtout moi, qui allais traverser en bateau l'Atlantique. Mais
rien, le silence. Nous nous regardions, bouche ouverte, comme pois-sons rouges
en bocal. La de'tresse de notre ch'ere Laurencin nous bouleversait. Et quels
e'taient ces < soins pe'dagogiques > qu'allait lui infliger le ter-rible institut?
Je ne savais pas, jusqu''a ce jour, que les profs, eux aussi, avaient des profs.
Et que ces profs de profs avaient des se've'rite's redou-tables.
La nuit, je r'e'vai qu'avec des pinces quelqu'un se pre'parait 'a m'ouvrir la
t'e'te pour y installer un tas de mots qu'il avait pr'es de lui, des mots aussi
desse'che's que des squelettes. Heureusement, un lion, un moucheron et une tortue
prenaient ma de'fense, mettaient en fuite le me'chant et ses pinces.
C'est le lendemain, dans l'apres-midi, qu'avec mon fr'ere je pris la mer.
.........
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